Qui sont les laissés pour compte dans le traitement d’une communauté?
30/01/2024
L’administration massive de médicaments (AMM) est une stratégie de santé préventive dans le cadre de laquelle tous les membres d’une population admissibles reçoivent un traitement contre une maladie, qu’ils soient infectés ou non. C’est la pierre angulaire de l’élimination de cinq des 21 maladies tropicales négligées (MTN) qui touchent 1,6 milliard de personnes dans le monde.
Le succès de la stratégie d’AMM repose sur une participation massive de la population. Pourtant, certains groupes de personnes ne bénéficient toujours pas de ces programmes, de sorte qu’ils pourraient ne pas recevoir de traitement en cas d’infection et même entraver les efforts visant à éradiquer la maladie dans leur communauté.
Alison Krentel, Ph. D, chercheuse principale à l’Institut de recherche Santé Bruyère et professeure associée à l’École d’épidémiologie et de santé publique de l’Université d’Ottawa, étudie les raisons pour lesquelles certaines personnes ne sont jamais traitées dans le cadre des programmes d’AMM, que ce soit volontairement ou par manque d’accès.
Selon Mme Krentel, qui est aussi présidente du Réseau canadien pour les maladies tropicales négligées, « les programmes de santé publique qui visent à traiter la majorité des personnes vivant dans une région endémique doivent impérativement comprendre quelles sont les personnes oubliées et pourquoi elles ne reçoivent pas de traitement. Il ne faut pas perdre de vue ces laissés pour compte. Souvent, ce sont les membres les plus vulnérables et marginalisés d’une communauté qui sont touchés. »
Mme Krentel fait partie de plusieurs équipes de recherche aux quatre coins du monde qui explorent actuellement les facteurs qui contribuent à l’absence de traitement de certaines personnes lors d’une AMM. Une étude menée en Indonésie a permis de constater que l’emploi, la zone desservie par les soins de santé, les préoccupations au sujet des effets secondaires potentiels des comprimés contre les MTN et les difficultés liées à la prise de ces médicaments étaient tous des facteurs associés à l’absence de traitement. Une autre étude, menée cette fois-ci au Guyana, a récemment montré que les personnes vivant dans une certaine région du pays risquaient davantage de ne jamais recevoir de traitement que dans d’autres régions.
Selon les chercheurs, les membres de la communauté ont plus de chance de prendre les comprimés s’ils sont rassurés quant aux effets secondaires potentiels et s’ils reçoivent des instructions claires sur la façon de les avaler. L’un des messages clés qui ressort dans de nombreuses collectivités est que la participation contribue à l’avantage de la santé de l’ensemble de la communauté. Cette idée de responsabilité collective résonne dans de nombreux endroits où Mme Krentel et ses collègues ont effectué des recherches.
Mme Krentel est aussi la chercheuse principale d’une étude récente sur les besoins en matière de programmes et de recherche pour remédier à l’absence de traitement de la filariose lymphatique, l’une des principales causes de handicap à l’échelle mondiale. Son équipe a conclu que l’absence de traitement suivait des modèles localisés, c’est-à-dire que les stratégies visant à atteindre ces personnes doivent être propres au contexte, rapides et axées sur des solutions locales. Des chercheurs membres de la communauté iCHORDS travaillent à la création d’une boîte à outils visant à aider les pays à repérer les cas d’absence de traitement et à y remédier grâce à des approches précises.
Selon Mme Krentel : « Malgré un financement souvent insuffisant et des conditions de travail difficiles, nous avons réussi, grâce aux programmes de MTN, à mettre en place des AMM pendant des dizaines d’années, traitant ainsi des millions de personnes chaque année. Pourtant, force est de constater qu’en dépit de tous nos efforts, certaines personnes manquent encore à l’appel. Tous les pays, dont le Canada, ont leur lot de difficultés lorsqu’ils essaient d’atteindre tout le monde dans le cadre d’une intervention en santé publique. C’est pourquoi nous devons sans cesse nous demander qui sont ces laissés pour compte dans le cadre de nos programmes, les raisons du pourquoi et ce que nous pouvons faire pour les atteindre. »